26 Février 2016
Søren Kierkegaard Les Stades immédiats de l’éros ou l’éros et la musique, Le Bruit du temps
En 1843 paraît à Copenhague, sous le pseudonyme de Victor Eremita, le premier livre d’un auteur de 30 ans, philosophe, quelque peu dandy et qui a pu craindre de passer pour oisif. Avec tous les instruments d’une dialectique pleine d’ironie, inquiète, mais pénétrante et vigoureuse, il pose, par l’alternative que traduit son titre (Enten… Eller, « ou bien… ou bien »), les données premières de la philosophie de l’existence, dont il est ainsi le fondateur. Les deux textes réunis dans ce volume appartiennent, comme le fameux Journal du séducteur, qui en est le plus souvent extrait, à la première partie de ce livre de Kierkegaard. Ainsi réunis, ils offrent l’une des plus profondes et brillantes interprétations qui soit du Don Juan de Mozart. L’enthousiasme de l’auteur des Stades immédiats de l’éros (qui n’est pas donné pour Kierkegaard lui-même) se conjugue à une rare profondeur philosophique et psychologique, pour mettre en lumière un principe de « génialité sensuelle » qui ne pouvait naître qu’avec l’interdit posé par le christianisme. Don Juan – le Don Juan musical – est celui qui « incarne la chair » parce qu’il la représente comme possibilité de jouissance infinie, selon la temporalité abstraite de la musique où, dans la permanence du désir toujours renouvelé, triomphe l’instant ; et pour cette raison seule il séduit universellement. Tel est l’« éros immédiat », dont Chérubin dans Les Noces de Figaro, Papageno dans La Flûte enchantée sont les stades préparatoires, et qui s’épanouit pleinement dans la perfection classique d’un opéra hors normes, seul capable d’en représenter le caractère immédiat : paradoxe qui participe pleinement de la « génialité ».
Dans sa postface (inédite), François Lallier montre que cet essai d’une admirable cohérence, loin des intrigues trop réfléchies du Journal d’un séducteur, semble la source même des grands livres à venir, Le Concept de l’angoisse, La Maladie à la mort. Il constate que Kierkegaard passe sous silence la présence, dans l’opéra de Mozart, des forces de mort qu’a soulignées un siècle plus tard, dans l’attraction de la psychanalyse, une autre grande étude, Le Don Juan de Mozart de Pierre Jean Jouve. Pour lui une telle omission a valeur de signe, elle peut donner à lire de façon neuve la formule de salut qui constitue le motif conducteur deLa Maladie à la mort : « En s’orientant vers lui-même, en voulant être lui-même, le moi plonge, à travers sa propre transparence, dans la puissance qui l’a posé. » Pour François Lallier, le second texte que nous publions indique le chemin de cette transparence, c’est le chapitre des Silhouettes consacré par Kierkegaard à Donna Elvira dans lequel le philosophe danois montre la profondeur et la nature de l’amour-haine porté au séducteur. « Donna Elvira, ici, c’est Kierkegaard lui-même. »[Site éditeur http://www.lebruitdutemps.fr/]