17 Octobre 2019
Vient de paraître le numéro 5 de la revue BABEL HEUREUSE, publiée par François Rannou aux éditions La Nerthe, deux fois par an. Son programme: "Lire/Regarder/Penser/Ecouter", et son exergue-devise : " Se traduisant soi-même, et le monde, comme une langue étrangère..." Avertie donc, cette revue, que nous ne sommes jamais que langue(s), mais que leur diversité, étendue aux singularités du soi-même, peu ménager bien des surprises heureuses. Et il y en a, précisément, dans ce numéro.
D'abord de comprendre que l' imposant cahier de 170 pages n'est pas seulement accumulation d'individualités, mais répond à un plan, bien celui-ci soit fabriqué, dit François Rannou, "selon la chance des participations demandées ou reçues à l'improviste". Chance d'un "livre à plusieurs voix - le lecteur actualise la composition en échos qui est à l'origine de chaque numéro, en découvre ainsi la subtile cohérence".
Je n'aurai garde d'exclure de cette cohérence un "prélude" qui est le dernier poème de Chénier, placé là peut-être pour nous avertir de ne pas oublier une menace, devant laquelle la poésie, avec sa pensée, ne doit pas plier mais se maintenir.
Vient un ensemble de traductions de poètes américains - Pound, Zukofsky, et de plus récents comme le poète et photographe Matt Bialer, ou Alexander Dickow, dont les poèmes ici sont écrits directement en français.
Un long poème de Philippe Blanchon, suivi d'un entretien très soutenu de l'auteur avec René Noël, et de sa traduction de poèmes de Malcolm Lowry (non sans des échos avec la partie américaine) forme ensemble, avant qu'un "cahier de création" fasse entendre quatre poètes.
Enfin une trentaine de pages sont consacrées, sous le titre "La traversée des voix", à l'exploration de la poésie sonore, comme "émancipation du langage" (pour reprendre le titre du texte d'Eric Mangion. C'est aussi une même émancipation, un même franchissement de la langue, qui se fait jour dans l'idée des "transpoèmes pour installer le temps", que présente et illustre Laure Gauthier. Enfin, dans un entretien avec Yann Miralles, François Rannou explicite les dispositifs qu'il utilise pour faire intervenir dans le poème la voix, la "ligne-voix".
C'est donc en accord hasardeux ou magique à cette réflexion d'aujourd'hui qu'est publié ici un passage du livre que je prépare sur Virgile et la peinture, passage consacré précisément à montrer comment le poète signe en quelque sorte l'image picturale produite par la langue (et le vers) par la désignation d'un fait sonore : c'est la fin du "tableau" de la mort de Laocoon. La poésie fait voir et entendre.
Il est tout naturel, dès lors, que la revue montre l'oeuvre d'un peintre, Hung Rannou, et les étonnantes photographies, orphiques, de Seylvie Pelsen.