24 Mars 2023
Vient de paraître aux éditions Manucius un volume collectif, où Jérôme Thélot a rassemblé des textes étudiant la relation entretenue par Yves Bonnefoy, dans son oeuvre, avec la philosophie. Proximité, influences, opposition parfois, les deux ensembles qui partagent le livre, "Héritage", puis "Rencontres et confrontations", en marquent la complexité, comme la profondeur. Les lecteurs de Du mouvement et de l'immobilité de Douve ont été frappés par la citation de Hegel, ceux des Tombeaux de Ravenne par l'importance accordée à Kierkegaard, à Plotin. On découvre dans ce livre quelle importance ont eue pour l'auteur Bergson, Bachelard (celui du Nouvel esprit scientifique), Jean Wahl, et par Jean Wahl Chestov, ou Jaspers. Et on mesure l'ampleur d'un véritable dialogue, parfois polémique, avec la philosophie contemporaine.
Bonnefoy a choisi, dans sa visée de la poésie comme écriture et comme expérience, les philosophies de l'existence, et c'est à l'intérieur de la pensée existentielle qu'il faut comprendre sa critique, centrale, du concept, ce pilier de la philosophie. La contradiction apparente, qu'on lui a souvent reprochée, de faire conceptuellement - jusque dans le poème - une critique du concept, y perd toute pertinence, car cette critique répond à une vraie question, mieux posée chez certains philosophes que chez d'autres, et qui vaut pour tout emploi de la langue. D'où ces "confrontations" - avec Sartre, avec Bataille, avec Blanchot, et quelques autres non moindres - qui montrent Bonnefoy si pleinement actif au coeur de son époque, sur la très longue durée de son activité. La philosophie ne peut éviter la question du langage, et la conception que développe Bonnefoy en dépasse les contradictions de façon vraiment neuve, encore mal comprise, comme le montre la très brillante étude d'Etienne Bimbenet qui ouvre le volume.